Compte administratif 2021 de la Ville de Paris : mon intervention au Conseil de Paris (31 mai 2022)

Compte administratif 2021 de la Ville de Paris : mon intervention au Conseil de Paris (31 mai 2022)

Madame la Maire, chers collègues,

À titre liminaire, je déplore que, pour la 2ème année consécutive, votre synthèse du compte administratif, qui a pourtant plus que doublé en nombre de pages depuis 2013, omet comme par hasard le grand tableau clair et didactique intitulé « Analyse financière consolidée », qui permet de lire avec aisance et facilité l’évolution des principales lignes budgétaires sur les 6 derniers exercices. Il faut tout reconstituer soi-même.

Nous le faisons. Vous êtes peut-être tenace dans votre volonté de masquer les choses, nous sommes plus tenaces encore pour les dévoiler, pour les Parisiennes et les Parisiens.

 

Au moment d’examiner le compte administratif de la Ville de Paris pour 2021, je me suis replongée dans nos débats sur le budget primitif pour 2021.

Lors de son examen, je vous faisais part de ma consternation en dénonçant un projet de budget qui reflétait la « réalité parallèle » dans laquelle vous vivez et agissez.

 

Souvenez-vous : la Maire de Paris avait déjà éradiqué une première fois la pandémie dès septembre 2020, en décidant de la fin du plan de relance pour l’économie parisienne qui n’en avait plus besoin.

C’est au moment du vote du budget 2021 que la Maire de Paris avait, une seconde fois, éradiqué la Covid. Que nous disaient en effet les chiffres du budget 2021 ? Que, selon Madame Hidalgo et sa majorité, à compter du 1er janvier 0 heures, à Paris, nous allions tous nous retrouver projetés avant crise, en 2019, avec le tourisme de 2019, l’activité et l’emploi de 2019.

En une nuit, la richesse des Parisiens et des entreprises parisiennes allait tellement s’accroitre que le niveau des recettes fiscales pour 2021 atteindrait un niveau jamais égalé. Tous les commerces et restaurants allaient rouvrir, les touristes allaient revenir en masse dès le 1er janvier 2021 et s’acquitter de dizaines de millions d’euros de taxes de séjour. Tous les Parisiens immédiatement dépenser tout l’argent qu’ils avaient, tous, gagné en 2020. Et le budget de Paris verrait à nouveau la vie en rose.

Bref, lors des débats sur le budget 2021, je dénonçais des chiffres qui prenaient de plus en plus leurs distances avec la réalité.

Aujourd’hui, vous nous présentez, dans le Compte administratif 2021, des comparaisons avec les chiffres du Compte administratif 2020, en vous réjouissant que la situation ait été un peu moins catastrophique en 2021 que lors du choc de 2020.

Mais par rapport aux chiffres du budget primitif 2021, les écarts sont énormes et le budget 2021 apparait pour ce qu’il était, comme nous l’avions dénoncé : un budget insincère.

Que l’on en juge : alors que, selon vous, les recettes de taxe de séjour par exemple allaient bondir et retrouver immédiatement leur niveau de 2019, elles auront finalement malheureusement été inférieures à celles de 2020.

Alors bien sûr, comme d’habitude, vous nous direz : c’est la faute à la pandémie, c’est la faute à l’Etat.

Or, derrière les apparences, à Paris, l’Etat a continué à se faire votre complice en vous permettant de falsifier les comptes de la Ville de Paris avec les loyers capitalisés et de vous permettre de financer, non des investissements, mais le train de vie de la Ville de Paris. Cela, vous oubliez de le mentionner.

Et votre estimation de l’impact de la pandémie, c’est quand même du grand n’importe quoi.

Côté dépenses, si l’on se rapporte aux annexes budgétaires, on a bien du mal à comprendre comment vous évaluez un surcroît de dépenses supplémentaires concernant, par exemple, les personnes âgées :  825 000 euros d’APA à domicile et 2,75 M APA en établissement.

S’il y a eu un effet de la pandémie sur les dépenses liées aux personnes âgées, c’est malheureusement à la baisse et non à la hausse. Au CA 2021, les dépenses consacrées aux personnes âgées (hébergement) et à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) représentent 215 M€, en diminution de 8,1 M€ par rapport au CA 2020. Ce sont surtout les dépenses liées à l’hébergement et à la prévention et l’accompagnement des personnes âgées qui diminuent.  20,9 M€ ont été consacrés aux dépenses de prévention et d’accompagnement des personnes âgées, des crédits en baisse de 1,6 M€ par rapport au CA 2020. On rappellera qu’au CA 2019, le total de ces dépenses concernant les personnes âgées était de 240 millions d’euros, contre 215 aujourd’hui

Comment pouvez-vous par ailleurs comptabiliser 40 000 euros de plantation d’arbres dans les dépenses COVID ? Et pourquoi 430 000 euros de dépenses informatiques ? Où sont les justificatifs ?

Quand aux recettes, la pandémie a également bon dos.

Le rapport sur le CA 2021 nous indique que la Ville aurait perdu 333 millions de recettes à cause de la pandémie, dont des recettes fiscales. Mais par rapport à quoi? Par rapport à vos estimations totalement irréalistes du budget primitif 2021 ? Je rappelle que les recettes de fiscalité recensées par le Compte administratif 2021 ont progressé de 173,7 millions d’euros par rapport au CA 2019, avant crise ! Et oui : pendant la crise, la Ville de Paris a ponctionné près de 180 millions en plus sur le dos des Parisiens.

Vous nous dites par ailleurs qu’à cause de la pandémie, la Ville aurait perdu 80 millions de DMTO. Là encore, par rapport à quoi ? Par rapport aux prévisions fantaisistes du BP 2021 ? Cela ne correspond pas du tout.

En réalité, non seulement les DMTO n’ont pas baissé, mais ils ont progressé de 17,2% en 2021, soit 254 millions de plus.

Concernant le stationnement, vous avancez que la crise du Covid a engendré 93,2 millions d’euros de manque à gagner ? Or, avec 267 millions d’euros, la Ville réalise son meilleur résultat de tous les temps. En 2019, dernière année pré-Crise, après réforme tarifaire mais avant début de diminution du nombre de places et terrasses estivales, la Ville avait récolté 237 millions d’euros seulement.

Alors, oui, vous aviez inscrit 379 millions d’euros de recettes pour 2021… mais s’il suffisait d’inscrire un montant manifestement irréaliste pour ensuite faire porter la différence d’exécution sur le Covid, autant inscrire 7 milliards d’euros, l’équivalent de la dette de Paris !  comme ça, allez hop, plus de problème de dette ! Autrement dit, ici, l’attribution de l’écart entre recettes espérées et résultat constaté n’a manifestement rien à voir avec le Covid.

Alors quand on raconte un peu n’importe quoi sur les dépenses et pareil sur les recettes, nul doute que l’on peut dire du GRAND n’importe quoi sur ce que vous appelez « la dette COVID ».

A vous lire, en 2020-2021, la hausse imputable au Covid aurait été de 989 millions d’euros, pour une hausse totale de 1,301 milliard. Donc, en 2 ans, vous auriez réussi le miracle de ne vous endetter que de 312 millions d’euros en 2 ans, soit 156 millions par an.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que l’endettement de la Ville de Paris résulte avant tout de la dégradation continue des finances parisiennes AVANT la crise sanitaire.

En effet, depuis 2014, hors Covid, vous vous êtes endettés de 400 millions d’euros en moyenne. Donc, par miracle, sans aucune réforme de gestion, vous auriez divisé votre endettement par 2,5…ce n’est statistiquement pas crédible. D’ailleurs, dès cette année, vous prévoyez une augmentation de l’endettement de 573 millions d’euros…

De plus, si l’on en exclut les centaines et les centaines de millions d’euros de loyers capitalisés à partir de 2016, l’endettement aurait dû être bien supérieur.

Votre endettement est donc constant, Covid ou hors Covid.

Mis à part le grand n’importe quoi de vos évaluations sur les conséquences de la crise sanitaire, quels enseignements tirer de l’examen de ce compte administratif 2021 ?

Le grand enseignement, c’est que la Ville de Paris n’a malheureusement plus les moyens d’investir à la hauteur de ce qu’il faudrait pour préparer l’avenir.

Le rapport sur le Compte administratif le montre bien, les recettes de fonctionnement (près de 390 millions en plus, soit plus 4,7%) sont artificiellement gonflées par la hausse des recettes de fiscalité -qui représentent 60% environ des recettes de fonctionnement de la Ville-, et cela principalement en raison de l’alignement sur l’année civile du rythme de titrage des DMTO ! Les DMTO ont progressé de 17,2%, soit 254 millions de plus : les 2/3, soit environ 170 millions = changement rythme de titrage des DMTO, c’est donc totalement artificiel.

Face à ces recettes, les dépenses de fonctionnement sont malheureusement plombées par une part de 30% correspondant à la masse salariale, là aussi reflétant vos énormes erreurs de gestion passées.

Vous faites certes de gros efforts littéraires pour tenter de montrer des efforts de maîtrise de l’évolution de ces dépenses, cette année. Mais compte tenu des masses en jeu, les économies sont assez insignifiantes. Et comment ferez-vous pour augmenter les traitements des fonctionnaires de la Ville qui subissent l’érosion de leur pouvoir d’achat à cause de l’inflation ?

Le rétablissement de l’épargne brute dont vous vous félicitez n’est donc qu’en trompe l’œil.

Et cela d’autant plus que cette épargne brute reflète le surcroît de recettes DMTO. Sachant qu’avec 458 millions d’euros d’épargne brute au 31 décembre 2021 la durée théorique de désendettement est 15,67 ans …et que le professionnel du Chiffre affirme en page 16 de son Powerpoint, que, « au 31 décembre 2021, le montant des produits relatifs aux DMTO aurait dû être inférieur de 156 millions d’euros »…

Sans ces 156 millions, la durée de désendettement serait de plus de 23 ans…

 

Pour investir, il faut de l’épargne brute et il faut aussi des recettes d’investissements. Or, ces recettes réelles d’investissement baissent, de 75 millions par rapport au CA 2020, ce qui est énorme.

Avec une capacité d’investissement (épargne brute plus recettes d’Investissement) qui couvre moins de la moitié (48%) des dépenses d’investissement, et des recettes d’investissement qui y contribuent pour seulement 27%, la Ville n’a plus les moyens d’investir sans un recours massif à l’endettement ou sans – comme nous vous y invitons depuis des années – une revue générale des dépenses de la Ville.

Et cela d’autant que nous devons d’ores et déjà payer plus de 400 millions d’euros chaque année pour rembourser la dette – intérêts et capital.

400 millions d’euros, par rapport à des dépenses opérationnelles d’investissements de 1 400 millions, cela représente déjà 30% de nos dépenses d’investissement.

Ce n’est, vraiment pas possible de continuer ainsi, surtout dans un contexte où les taux d’intérêts vont nécessairement remonter, dans des proportions aujourd’hui inconnues.

Alors oui, pour éviter le mur vers lequel vous foncez tout droit, pour éviter le pire aux Parisiens et à leurs enfants qui devront rembourser nos dettes, pour éviter aussi des hausses d’impôt qui casseraient plus encore l’économie parisienne et amputeraient plus encore le pouvoir d’achat des Parisiens, engageons sans tarder une revue générale des dépenses de la collectivité parisienne !

Nous sommes prêts à nous y impliquer pleinement, dans l’intérêt des Parisiennes et des Parisiens.

Mais si votre choix est, à l’inverse, d’augmenter les impôts des Parisiens, vous nous trouverez sur votre route, et les Parisiens avec nous !

 

Marie-Claire Carrere-Gee

Conseillère de Paris, élue du 14eme arrondissement Présidente de la Commission des Finances au Conseil de Paris Conseillère régionale d'Ile-de-France

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